Rencontre avec Thomas Edison

II y a si longtemps qu’on a parlé des premières inventions d’Edison (c’était en 1864, il n’avait que dix-sept ans), que si vous interrogiez nombre de gens sur son compte, ils seraient tentés de vous dire qu’ils doit être mort, puisque depuis quelques années on n’entend plus parler de lui. Rassurons-les, Edison, qui est né en 1847, a Milan, dans l’Etat de l’Ohio (Etats-Unis), mène toujours la vie la plus active, travaillant du matin au soir, enfermé dans son laboratoire de West-Orange où il prépare des découvertes destinées à bouleverser et à révolutionner nos vieilles habitudes.

On arrive à West-Orange après un trajet d’une demi-heure en chemin de fer, à partir de New-York, à travers des villes élégantes et coquettes.

Une petite allée conduit, au centre des usines d’Edison, à une pièce sombre et poudreuse, partagée en deux par une grille de bois semblable à celles qui se trouvent dans les couvents. N’entre pas qui veut dans ce sanctuaire. Il faut montrer patte blanche. Edison est bien protégé contre l’invasion des reporters et des curieux cosmopolites. La porte ne s’ouvre qu’à ceux qui ont obtenu du maître une audience spéciale.

Ce laboratoire est une succession de baraques en briques et de bâtiments bas en bois, séparés par de petits couloirs sablés, entourés de jardinets avec un garage contenant plusieurs automobiles. Edison donne tout son temps à ses inventions ; il ne se soucie pas d’exploiter lui-même ses découvertes. Lorsqu’une invention est parachevée, il la confie à ceux qui, ayant les capitaux nécessaires, sont disposés à courir les risques de l’aventure et il passe pour son compte à d’autres recherches.

Il n’a point besoin d’un vaste espace pour ses propres travaux, et son usine personnelle est de proportion tout à fait modeste. Mais elle constitue tout de même le noyau de toute une ville. Tout autour, on aperçoit, en effet, les bâtiments dans lesquels des Sociétés différentes fabriquent chacune l’un des produits qui, pour la première fois, ont été enfantés dans la modeste usine : phonographes, cinématographes, cylindres, pellicules, films, lampes à incandescence, ciment Portland, etc.

Lorsqu’on pénètre à l’intérieur de la pièce qu’Edison s’est réservée, on ne peut se défendre de cette impression que le grand inventeur est un homme à qui suffit le strict nécessaire et qui méprise le superflu et les apparences. Son bureau occupe une surface d’une vingtaine de mètres carrés. A côté, un laboratoire de chimie où, sous le regard vigilant de plusieurs techniciens, des liquides ronflent en bouillant dans des cornues, tandis que d’autres se volatilisent à travers des réfrigérants.

Il règne dans l’air cette odeur caractéristique et indéfinissable des laboratoires de chimie où l’alcool, l’éther, l’hydrogène sulfuré et des parfums de tous genres se mélangent dans un ensemble rarement agréable. Edison passe en courant, questionnant celui-ci, interrogeant celui-là, jetant ses ordres, donnant des conseils sans s’arrêter, comme si tous ceux qui sont autour de lui étaient des machines continuellement en mouvement pour l’élaboration de ses inventions.

Pas la moindre élégance dans son bureau. Une table en bois de sapin au milieu. Sur cette table, une collection de bouteilles, de fioles, d’outils variés, de substances inconnues, de volumes ouverts et de cahiers noircis de notes. Le long des murs, des bancs en bois, des rayons de bibliothèques chargés de livres, une petite balance sous une cloche, deux chaises en bois, à terre, dans un coin, de vieux types de mécanisme couverts de poussière, dans un autre coin, des amas de cylindres phonographiques brisés. Un porte-manteau est attaché derrière la porte.