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Le télégraphe sans fils

Chaque jour, on peut le dire, l’électricité nous apporte de nouvelles surprises, et ses découvertes se multiplient avec une telle fécondité que l’utopie d’hier devient la banalité de demain. Depuis que Röntgen a publié le récit de ses expériences sur les rayons qui ont gardé son nom, les inventeurs se sont attaqués à la transmission des ondes électriques à travers les milieux résistants, si bien qu’on pouvait, il y a déjà plusieurs mois, prévoir le moment où l’on se passerait facilement des fils conducteurs dans les transmissions télégraphiques.

Je doute cependant que les plus audacieux aient jamais rêvé de conséquences aussi merveilleuses que celles en face desquelles nous nous trouvons aujourd’hui.

Deux hommes, d’origine et de caractère complètement différents, viennent d’arriver simultanément à des résultats identiques. L’un est un Hindou élevé et instruit en Angleterre, le Dr Jagadis Chunder Bose; l’autre est un jeune Italien de vingt-deux ans, Guglielmo Marconi, né à Bologne en avril 1875. Leur découverte nous est exposée dans les magazines Mac Clur’s et Strand de Mars, par un savant vulgarisateur dont nos lecteurs n’ont certainement pas oublié les travaux antérieurs, M. J.-W. Dam.

Avant d’en venir à l’invention nouvelle en elle-même, quelques explications préliminaires sont indispensables. On sait que, sous le nom d’éther, on désigne cette substance infiniment ténue auprès de laquelle notre air atmosphérique semblerait plus lourd que le plomb, et qui remplit les espaces interplanétaires. Invisible, incolore, inodore et impondérable, l’éther n’existe, il faut bien le dire, qu’en vertu d’une hypothèse cosmique. On l’a inventé pour expliquer la transmission de la lumière à travers l’infini; transmission qui demeurerait inexplicable si une substance quelconque ne servait de véhicule aux ondulations lumineuses. Déjà au temps de Platon, on avait reconnu la nécessité de son existence. Newton et Descartes l’ont admise et les savants modernes ont suivi sur ce point l’exemple de leurs devanciers.

Essayons d’expliquer, le plus simplement et le plus clairement possible, quel est le rôle joué par l’éther; et pour cela, supposons que l’ensemble de l’univers, en y comprenant les étoiles les plus éloignées, celles qui brillent aux extrêmes limites du champ de pénétration de nos plus puissants télescopes, est formé d’une substance solide de gelée incolore et transparente, semblable à ces gelées qui enveloppent les galantines de nos charcutiers. Les mondes sont donc tous complètement baignés dans cette substance, qui les pénètre de telle façon que chacun des atomes qui les composent est baigné, lui aussi. Il va sans dire que la substance ne comporte aucune solution de continuité. Par conséquent, un choc donné dans une quelconque de ses parties, sera répercuté dans la masse tout entière.

Les mondes qui y sont contenus ne bougent pas, mais la substance dont ils sont pénétrés transmettra la secousse à travers eux aussi facilement qu’à travers la masse elle-même. Cette substance est en effet si ténue qu’elle traverse et pénètre tout, le verre, la pierre, le métal, le bois, la chair, l’eau, etc., etc. C’est ainsi que les rayons Röntgen peuvent traverser des corps opaques; c’est ainsi également que la lumière et l’électricité, en excitant des ondulations dans la masse de l’éther, voyagent à travers les espaces.

L’ondulation lumineuse passe à travers le verre, c’est-à-dire qu’elle se communique aux molécules d’éther qui remplissent le verre lui-même. L’éther transmettra donc les rayons lumineux à travers certaines substances, mais il ne pourra pas faire traverser ces mêmes substances aux rayons Röntgen. Ces derniers circulent dans des corps qui arrêtent la lumière. Les rayons électriques à petites vibrations diffèrent, à ce point de vue, des rayons lumineux et des rayons Röntgen. Ceux, au contraire, qui sont à larges oscillations, diffèrent à leur tour des premiers. Il est enfin d’autres classes de rayons ou d’ondulations encore à découvrir, qui ont des propriétés différentes, c’est-à-dire qui sont traités différemment par l’éther.

On a calculé la densité de l’éther d’après l’énergie avec laquelle la lumière du soleil frappe la terre: elle est moindre que toute quantité imaginable, de même que sa rigidité. Néanmoins, on considère que l’éther est une substance parfaitement existante, et l’on déclare même qu’il est incompressible, car sans cela il ne pourrait transmettre les ondulations. Il va sans dire que l’éther, enfermé dans des corps solides, transmet beaucoup moins librement les ondulations que l’éther de l’air. Ainsi le verre seul transmet les rayons lumineux à une vitesse d’environ 4.000 mètres par seconde. L’éther dans le verre les transmet 40.000 fois plus vite, soit à 160.000 mètres par seconde et l’éther de l’air à 260.000 mètres par seconde. La raison de cette différence dans la rapidité de transmission est encore un mystère: mais, aujourd’hui, les mystères n’ont pas la vie longue.

Les ondulations électriques ont été découvertes en 1842 par un Américain, Joseph Henry, de Washington. Cette découverte, qui a eu pour conséquence immédiate celle des phénomènes d’induction, a été exploitée par Edison pour télégraphier à un train en marche. Dans ce cas, le courant électrique sautait, littéralement, des fils qui bordaient la voie, au récepteur placé dans le train. Hertz, le savant allemand, a  poursuivi l’étude de ces ondulations et annoncé le premier qu’elles pouvaient traverser le bois et la brique, mais non le métal. C’est au jeune Italien Guglielmo Marconi, dont nous parlions plus haut, que revient l’honneur d’avoir élargi la conception des ondulations électriques et imaginé les instruments propres à atteindre ce but. L’histoire du jeune Marconi a toutes les allures d’un conte de fées et serait peut-être tenue pour telle si quatre graves commissions, représentant l’Armée, la Marine, les Postes et Télégraphes et la Direction des Phares de l’Angleterre, ne se tenaient là pour en affirmer l’authenticité parfaite.

Nous en arriverons tout à l’heure à Guglielmo Marconi.

Parlons un peu, en attendant, de son prédécesseur immédiat à Londres, le Dr Jagadis Chunder Bose, aujourd’hui professeur de physique au Presidency College de Calcutta. Le Dr Bose est un Hindou qui a fait ses études à Cambridge et il est fort connu en Angleterre pour ses travaux sur les ondulations électriques, travaux qui lui ont valu les plus hautes récompenses à la Royal Society, à la British Association et ailleurs encore. Les découvertes du Dr Bose peuvent être considérées à la fois comme une préparation en même temps que comme une confirmation de celles de Marconi.

– Depuis trois ans, dit-il à M. Dam, j’ai tout spécialement étudié la radiation électrique, et plus particulièrement les ondulations de moindre vitesse. J’ai, à ce sujet, présenté à la British Association un appareil pour la vérification des lois de réflexion, de réfraction, d’interférence, de réfraction double et de polarisation de ces ondulations. Mon radiateur est une petite boule de platine entre deux autres boules plus petites de même métal, actionnées par une batterie de deux volts.

En tournant une clef, j’envoie une ondulation électrique qui se propage à travers l’éther de l’air. Pour employer un langage extrêmement populaire, une ondulation électrique se meut dans l’éther du dedans au dehors, comme les ondulations produites par le jet d’une pierre dans une mare. On peut voir l’ondulation de l’eau, pendant que l’ondulation électrique demeure invisible. Supposons qu’un bouchon se trouve sur l’eau de la mare à quelque distance de l’endroit où l’on jette la pierre. Aussitôt que l’ondulation l’atteindra, il sera secoué violemment. Il en est de même des effets de l’ondulation électrique et nous pouvons trouver un moyen de les noter comme le fait le bouchon pour les ondulations de l’eau. Telle est, simplement exprimée, l’idée-mère de mon appareil. Il se compose d’un récepteur placé dans une pièce, à vingt-cinq mètres de distance du radiateur et séparé de lui par trois murs de briques et de mortier épais de vingt centimètres. L’ondulation électrique traverse les murs et atteint le récepteur avec une énergie suffisante pour faire sonner une cloche ou partir un coup de pistolet.

– Prétendez-vous dire que l’ondulation, en s’éparpillant dans toutes les directions, produit son effet tout entier quand une simple partie d’elle-même atteint le récepteur?

– Non! On en concentre les rayons électriques, comme les rayons lumineux; au moyen d’une lentille placée tout près du radiateur. Cette lentille reçoit la plus grande partie de l’ondulation et dirige tous les rayons qui la frappent en lignes parallèles de façon à atteindre le récepteur tout droit à travers les murs. J’ai essayé bon nombre de ces lentilles de concentration, les meilleures sont celles de soufre et de résine.

– Au lieu de faire sonner une cloche ou partir un pistolet, pourriez-vous expédier à travers ces murs un message télégraphique?
– Certainement. Il n’y a là aucune difficulté.
– Quel est la loi d’intensité de l’ondulation à une distance donnée?
– Exactement la même que pour la lumière. Du reste, ces ondulations électriques agissent comme les rayons lumineux.
– Pourriez-vous donc télégraphier de cette façon à travers les maisons aussi loin que vous envoyez un rayon lumineux?
– Je ne voudrais pas l’assurer de façon affirmative, mais il en est ainsi, en général.
– A quelle distance pourrait-on envoyer cette dépêche à travers l’éther?
– A une distance indéfinie! Tout cela dépend de l’énergie d’excitation. On m’a dit qu’à Salisbury Plain, on envoyait les rayons électriques avec un réflecteur parabolique à un quart de mille à travers l’éther et qu’on les reproduisait ensuite comme les signaux de Morse.

– Mais en télégraphiant à travers les maisons, en supposant que les lentilles et le réflecteur soient convenablement dirigés dans le sens du récepteur, quelque chose pourrait-il arrêter les rayons?

– Le métal arrête les ondulations sur lesquelles j’ai travaillé. Il en est de même de l’eau, Mais elles traversent le bois, la brique, le verre, le granit, la roche, la terre et conservent leurs propriétés.
– A quelle distance a-t-on pu les envoyer avec succès?
– A travers l’air? A un mille, je crois. A travers les murs? d’après ce que je sais, à vingt-cinq mètres.
Il est bon d’ajouter à ce propos qu’il y a des rayons de genres différents. Ceux qu’emploie le Dr Bose ont des vibrations relativement lentes, c’est-à-dire de 50 billions de vibrations à la seconde. Les vibrations de l’éther, qui oscillent entre 200 et 400 trillions par seconde, produisent la sensation de chaleur. Entre 400 et 800 trillions, nous trouvons la sensation de lumière. Ces rayons lumineux varient de couleur en même temps que de rapidité. Les nombres les plus bas donnent à nos yeux l’impression du rouge et l’échelle monte au jaune, puis au vert, puis au bleu, puis au violet. Quand le nombre de vibrations dépasse 800 trillions par seconde, les rayons deviennent invisibles.

La limite de perception de l’oeil humain est entre 400 et 800 trillions de vibrations. Il en est de même des vibrations du son quand elles n’atteignent pas 16 ou quand elles dépassent 32.000 par seconde, elles ne font aucune impression sur nos organes auditifs.

– L’éther, dit en terminant M. le Dr Bose, est le champ des grandes découvertes de l’avenir et personne saurait concevoir ou imaginer les mystères qu’il tient encore en réserve, jusqu’au jour, prochain sans doute, où nous saurons les lui arracher.

***

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Source: Gallica.fr (La Revue des revues, janvier 1897)

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