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La machine à fabriquer le froid

Ce dossier a été tiré de la revue « La nature » n° 63, daté du 15 août 1874. Le papier original étant de piètre qualité, le scannage a été difficile à réaliser et l’aspect final s’en ressent.

Tout le monde connaît aujourd’hui les expériences si intéressantes dues à la chaleur latente dans les changements d’état des corps. Chacun sait que si de l’éther nous tombe sur la main, il ne paraît très froid, beaucoup plus froid que l’eau, que parce qu’il emprunte immédiatement à notre main ce qu’il lui faut de chaleur pour changer d’état, pour se vaporiser.

Or, produire en grand, industriellement, ce que l’éther vient de faire sur la main, c’est créer le froid; nous verrons, en temps et lieu, ce que l’on peut tirer de ce froid ainsi créé au fur et à mesure des besoins. Ici nous ne voulons pas autre chose que faire comprendre la machine à fabriquer le froid, inventée par M. Ch. Tellier, et réalisée comme application à l’usine frigorifique d’Auteuil.

Au lieu de prendre l’éther sulfurique qui nous refroidissait un peu la main tout à l’heure, M. Tellier a cherché s’il n’y aurait pas, en chimie, un autre éther qui, au lieu de nous refroidir seulement, nous gèlerait les doigts s’il tombait à leur surface. Il l’a trouvé dans l’éther méthylique qui bout entre 30 et 32 degrés au-dessous de zéro, tandis que l’éther méthylique ou sulfurique bout à 32 au-dessus : différence fort sensible d’une soixantaine de degrés!

Il jeta donc son dévolu sur l’éther méthylique : malheureusement cet éther, connu seulement dans les laboratoires, n’avait jamais été produit en quantité suffisante pour l’employer industriellement. Il fallut construire, avant tout, un appareil destiné à le préparer. L’éther méthylique est, comme l’éther le plus connu, l’ordinaire ou le sulfurique, produit par la réaction assez difficile à suivre de l’acide sulfurique sur un alcool. L’alcool de vin donne l’éther ordinaire; l’alcool de bois donne l’éther méthylique. On mélange, en parties égales, l’acide sulfurique et l’alcool de bois, on chauffe et l’éther se dégage, entraînant un certain nombre de corps accessoires avec lui, tels que de l’acide carbonique, de l’acide sulfureux, des vapeurs empyreumatiques, etc. On le débarrasse peu à peu de tous ces mélanges, en le faisant passer dans des liquides qui absorbent ou retiennent les corps qui ne doivent pas l’accompagner. Ainsi, en faisant passer le gaz impur sur de la potasse, celle-ci retient l’acide carbonique et l’acide sulfureux, la vapeur d’eau, en même temps entraînée mécaniquement : l’éther se trouve purifié. Cette marche est simple, usuelle et très employée pour toutes les distillations, soit en grand, soit en petit.

La forme et la matière seule du récipient changent. Au lieu de tubes et de flacons de verre, comme dans un cabinet de chimie, ce sont ici d’énormes récipients D,F,G, de fonte, chauffés à la vapeur, qui sont usités (fig. 1).  Mais il n’eût pas été facile de faire voyager un corps qui bout à 32 degrés au-dessous de zéro, si M. Tellier n’eût imaginé, en le refoulant assez puissamment sur lui-même, de le ramener à l’état liquide et de l’expédier ainsi.

Il va sans dire que le gaz éther méthylique, que nous voyons distiller, va, quand il est purifié, passer dans la pompe spéciale A, qui le comprime, et qu’il arrive liquide dans des sortes de bombonnes éprouvées en fonte, R, dans lesquelles il est expédié avec autant de sécurité que de l’eau ordinaire. En effet, la tension de ce gaz n’est pas excessive : la pression exercée sur les parois n’excède pas 4 ou 5 atmosphères, et les bombonnes sont calculées et essayées à 50.

Une fois en possession  de quantités suffisantes d’éther méthylique, il fut possible de faire du froid : mais, pour produire cet état particulier susceptible de tant d’applications industrielles,  il fallait une machine spéciale : c’est elle qui fonctionne aujourd’hui en cent endroits de l’Amérique et au Pérou, où elle n’arrête jamais.

C’est elle qui fonctionnera bientôt dans toutes nos provinces séricicoles, quand nos magnaniers y auront compris de quelle importance est, pour eux, de conserver indéfiniment leurs graines à l’abri de toute espèce de détérioration.

Notre figure 2 représente l’appareil à fabriquer le froid. B est le récipient dans lequel a été concentré l’éther méthylique. Cet éther part de là, se volatilisant, et arrive dans la partie n, C et S de la machine, où il emprunte de la chaleur à tous les corps environnants, c’est dire qu’il les refroidit. Par conséquent, qu’il passe dans des tubes plongés dans un bain salé, ou qu’il aille au loin refroidir une chambre athermane, le résultat sera le même. Aussi trouve-t-on bientôt des plaques de glaces splendides dans les capacités que l’on remplit d’eau pure et que l’on plonge dans le bain salin.

Mais à ce moment la vapeur méthylique est aspirée par la pompe A que fait mouvoir la machine étrangère dont l’embrayage se voit en E : la compression s’exécute, et le liquide revient en D dans le récipient d’où il s’échappe une seconde fois pour y arriver encore, empruntant la chaleur extérieure sur la droite de la machine où tous les tuyaux son constamment couverts de givre, la restituant à gauche sous la compression qui détermine le changement d’état et maintient les tuyaux rougissants sous la chaleur qui se dégage.

Il est évident qu’une pression se manifeste dans le serpentin placé en B, pour la liquéfaction de l’éther. Or, pour que cette pression existe, il faut que le serpentin soit fermé; mais s’il est fermé, comment pourra s’écouler le liquide qui s’y forme  constamment ?

C’est le distributeur qui y pourvoit, et nous en donnons la coupe verticale (fig. 3). La vraie partie du distributeur est D qui tourne sur le socle A.  Ce socle est pourvu de canaux qui qui se réunissent en dessous. Or , l’éther liquéfié arrive constamment par la tubulure F et remplit la capacité A, mais, chaque fois que le distributeur tourne et qu’une de ses alvéoles U passe devant une des cavités du socle, elle se remplit d’éther liquide :

Mais aussi, chaque fois qu’elle passe sur un des orifices U, la pression, y étant moindre, puisque ces orifices sont en communication avec le frigorifère, elle se décharge de la quantité d’éther qu’elle entraînait, éther qui s’échappe librement par la tubulure inférieure.

Il n’est pas sans intérêt, maintenant, de dire quelques mots du graisseur (fig. 4), appareil qui a pour mission d’occlure, d’une manière absolue, la communication entre l’intérieur de la pompe et l’atmosphère, en un mot de fermer tout passage aux vapeurs comprimées, tout en laissant passer la tige du piston.

Et, de fait, ces appareils fonctionnent tellement bien qu’aucune fuite ne subsiste autour de la machine, qui reste absolument inodore, — or l’odeur de l’éther méthylique se décèle à la moindre fissure; — par conséquent la même quantité de ce liquide sert indéfiniment sans déperdition.

Le graisseur, formé d’une capacité sphérique coupée en deux, est muni d’un piston inférieur, dont la garniture est divisée en deux parties fe, séparées par une bague g. Il en résulte que l’huile amenée par le tube m est sans cesse versée sur la bague g et, par conséquent, sur la tige du piston dont elle occlut les fuites ; qu’au contraire les vapeurs d’éther qui pourraient venir de la pompe de compression, s’échappent dans la capacité sphérique passant au-dessus de la couche d’huile qui la remplit en partie et par conséquent ne peuvent s’échapper par la tige du piston.

La figure 5 représente l’installation générale de la machine à froid qui fonctionne continuellement à l’usine d’Auteuil. C’est la même que nous venons de décrire (fig. 2), mais vue en bout : les tuyaux blancs sont ceux dans lesquels circule l’éther méthylique; ils sont, par les plus grandes chaleurs, couverts de neige. A droite, un ouvrier retire des blocs de glace des formes qu il vient de sortir de la cuve couverte que l’on voit derrière lui et qui contient un mélange salin formant bain réfrigérant. A gauche, un second ouvrier emplit des carafes pour les porter dans des bains analogues, disposés dans un compartiment éloigné, — car, avec ce système, ou envoie le froid à distance, comme dans d’autres usines, le gaz ou la vapeur, — afin d’y frapper une certaine quantité d’eau pour les cafés et restaurants. On en fait là quatre mille par jour. Ou en pourrait frapper le double, le triple aussi facilement.

Le mécanisme des robinets à bascule — encore une des inventions de M. Ch. Tellier — est très-original, car, en même temps que ces robinets versent l’eau, ils la mesurent et n’en laissent couler que ce qu’il faut. A propos de ces carafes frappées, qu’il nous soit permis de dire quelques mots d’une très élégante expérience de physique que l’on peut répéter à volonté sur la congélation de l’eau.

Dans tous les traités, on vous dira que par l’agitation on détermine, selon les expériences de Mairan, la solidification partielle d’une masse d’eau refroidie à plusieurs degrés au-dessous de zéro. Or, il n’en est rien. Les carafes en question sont refroidies à plusieurs degrés au-dessous de zéro : on peut les agiter autant qu’on le voudra, elles ne se prendront pas; mais, suivant une autre loi bien connue, qu’on y laisse tomber un cristal, même microscopique, de glace, et l’on assiste à un admirable spectacle (fig. 6).

Au moment où le petit cristal touche le liquide, de longues aiguilles naissent et se propagent dans son intérieur avec une vitesse incroyable. On les voit naître, croître, s’entre-couper en étoiles, en figures charmantes ; puis, tout à coup, on s’aperçoit que les yeux n’ont poursuivi et saisi qu’une partie du phénomène, et qu’il s’accomplissait partout à la fois…. l’eau est solidifiée !

FIN

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