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Conversation avec Marconi

Portrait de Gugliemo Marconi

Suite de l’article Le télégraphe sans fils

Guglielmo Marconi ne se prétend même pas un savant. Il se borne à dire qu’il a observé certains faits et qu’il a inventé des instruments pour les examiner. Il a donc opéré dans un domaine absolument neuf, aidé par le très distingué directeur des Postes anglaise, M. W. Preece,  qui a lui-même longtemps étudié le problème de la transmission télégraphique sans fils.

Rupture de câble sous-marin

L’an dernier, une rupture se produisit dans le câble entre l’Angleterre et l’île de Mull. En montant des lignes télégraphiques l’une en face de l’autre sur les deux côtes opposées, on put télégraphier par induction, à une distance de quatre milles et demi. On expédia et on reçut ainsi 156 télégrammes dont l’un ne comptait pas moins de 120 mots. L’opération se faisait au travers l’air, au moyen des signes de l’alphabet Morse. Dans une conférence récemment faite à Toynbee Hall, M. Preece proclama que l’invention de Marconi, qui est électro-statique, était très supérieure à la sienne, qui est électro-magnétique. C’est du reste grâce à M. Preece que les découvertes de Marconi sont examinées en ce moment par les ingénieurs de l’armée, de la flotte, des Postes et des Phares anglais. Marconi travaillait l’an dernier à construire un appareil pour étudier la distance à laquelle les ondulations électriques peuvent voyager dans l’air, quand il fit une découverte. L’ondulation qu’il envoyait à une distance d’environ un mille, à travers l’air, influençait également un autre récepteur, placé de l’autre côté de la colline. En d’autres termes, ces ondulations pouvaient traverser des montagnes.

Interview

– Croyez-vous, lui demande M. Dam, que les ondulations traversaient en réalité la montagne ?

– Je le crois, sans vouloir l’affirmer. Les ondulations passaient au travers ou par-dessus. La colline était épaisse de trois quarts de mille; et je pus envoyer facilement une dépêche, en signes de Morse, de l’autre côté. Tel est le point de départ de mes recherches ultérieures. J’ai reconnu que, tandis que les ondulations de Hertz n’avaient qu’un pouvoir de pénétration très limité, il en existait d’autres qui pouvaient être excitées avec la même somme d’énergie et qui pouvaient traverser n’importe quoi.

– Quelle différence y a-t-il entre ces ondulations et celles de Hertz?
– Je l’ignore. J’imagine même que la différence est tout entière dans la forme des ondulations. Les miennes donnaient 250 millions par seconde. Elles ne vont pas plus loin que celles de Hertz. Elles ont seulement une force de pénétration supérieure. Pendant que celles de Hertz sont arrêtées par le métal et par l’eau, les miennes semblent pénétrer toutes les substances avec une égale facilité. N’oubliez pas que la somme d’énergie excitante est la même; seule diffère la manière de produire l’excitation. Mon récepteur ne saurait agir avec le transmetteur de Hertz, ou mon transmetteur avec son récepteur. C’est un appareil entièrement nouveau.

J’ai réussi à expédier un télégramme aérien à un mille et trois quarts. Nous avons bien obtenu des résultats à deux milles, mais ils n’étaient pas absolument satisfaisants. Nous employions une batterie de trois ampères à huit volts, quatre accumulateurs dans une boîte.

– Vous serviez-vous d’un réflecteur ?

– Oui, d’un réflecteur en cuivre, grossièrement fait. C’était un réflecteur parabolique avec une erreur de 2 centimètres et demi dans la courbe. Mais je ne m’en embarrasserai plus; cela ne sert à rien.
–  Ni de lentilles?
–  Non plus! Les ondulations dont je parle ne sont sujettes ni à réflexion ni à réfraction. J’ai vérifié ce fait. Avec la même batterie, le même transmetteur et le même récepteur, nous avons émis et reçu les ondulations, à l’administration centrale des Postes, à travers sept ou huit murs et à une distance de cent mètres. Je ne connais pas exactement l’épaisseur des murs, mais vous avez vu le bâtiment: il est solidement construit.
– Pensez-vous que, de cette chambre, vous pourriez envoyer une dépêche à travers Londres au bureau central des Postes?
– Avec des instruments de dimension et de puissance convenables, je n’en ai pas le moindre doute!
– A travers toutes les maisons ?
– Parfaitement !

Les deux interlocuteurs se trouvaient à ce moment dans une maison de Talbot Road, Westbourne Park, à quatre milles et demi du bureau central des Postes.

– A quelle distance croyez-vous qu’on puisse, de cette façon, expédier une dépêche?
– A vingt milles. Du reste, la distance dépend simplement de la somme d’énergie excitante et des dimensions des deux conducteurs dont émane l’ondulation.
– Quelle est la loi de l’intensité à une distance donnée?
– La même que celle de la lumière: inverse au carré de la distance. Ce qui signifie que, quelle que soit l’énergie créatrice de l’ondulation, la puissance de cette ondulation à vingt mètres, comparée avec cette même puissance à dix mètres, est dans la proportion de 10 X 10 à 20X 20 ou un quart, dans ce cas particulier.
– Croyez-vous que ces ondulations puissent être employées pour les phares électriques, quand le brouillard empêche le passage de la lumière?
– Je pense que c’est ainsi que les phares seront un jour utilisés. Une source constante d’ondulations électriques, au lieu d’une source constante d’ondulations lumineuses, et un récepteur placé à bord du navire indiquera la distance du phare en même temps que sa direction!
– Mais le brouillard ou le métal n’intercepteront-ils pas le passage des ondulations?
– En aucune façon. Je crois même qu’elles traverseront un cuirassé. En ce moment, nous travaillons, M. Preece et moi, à établir
une communication régulière, à travers l’air, du rivage à un bateau-feu. C’est là le premier usage que nous entendons faire de mon appareil: communiquer avec les bateaux feux, à n’importe quelle distance de la côte, depuis un mille et demi jusqu’à vingt milles et plus.
– Ces ondulations ne pourraient-elles pas servir à empêcher les collisions des navires en temps de brouillard?
– Je crois qu’on les utilisera dans ce but. Les navires peuvent être munis d’appareils qui signaleront leurs positions réciproques, à telle distance qu’on voudra. Dès que deux navires se rapprocheront, les cloches d’alarme sonneront à bord de ces navires: une aiguille marquera leur direction.
– Limitez-vous la distance à laquelle ces ondulations peuvent être envoyées?
– En aucune façon. Nous ne connaissons cette distance que quand elles sont incitées par une faible somme d’énergie.
– Mais vous ne pourriez, par exemple, envoyer une dépêche d’ici à New-York?
– Je n’en sais rien. Seulement, c’est là un champ tout à fait nouveau, et la discussion des possibilités, qu’on pourrait appeler ici des
probabilités, néglige des difficultés qui pourront se présenter lors de la réalisation pratique. Mais il ne paraît pas exister d’impossibilités aujourd’hui visibles.
– Quelles dimensions devrait donc avoir la station qui enverrait un télégramme d’ici à New-York?
– Environ les dimensions de cette pièce, vingt pieds carrés, et je crois qu’une puissance de cinquante à soixante chevaux serait suffisante. Le coût des deux stations complètes n’atteindrait pas 10.000
livres sterling (250.000 francs).
– Les ondulations se propageraient elles à travers l’air ou à travers la terre?
– Je ne puis le dire avec certitude. Je crois seulement qu’elles franchiraient cette distance avec efficacité.
– Mais, puisque vous n’employez ni lentilles, ni réflecteurs, les ondulations s’éparpilleraient dans toutes les directions et atteindraient tous les lieux placés à la même distance que New-York?
– Evidemment.
– Quelles autres applications prévoyez-vous à votre invention?
– La première doit être de remplacer, pour les besoins militaires, le télégraphe de campagne actuel. Il n’y a aucune raison pour qu’un commandant en chef ne puisse communiquer facilement avec ses subordonnés, et cela sans fils, jusqu’à une distance de vingt milles. Si mes compatriotes avaient possédé mes instruments à Massaouah, les renforts auraient pu être appelés en temps utile.

– Les appareils seront-ils volumineux?

– En aucune façon. Un transmetteur et un récepteur suffiront.

– Mais alors un amiral pourrait aisément communiquer de la même manière avec les navires de la flotte ?

– Oui, mais…
– Mais?

– Je ne sais pas encore s’il y aura une difficulté, mais il me semble qu’il y en aura une. Vous rappelez-vous l’expérience de Hertz pour déterminer l’explosion de la poudre à canon au moyen des ondulations électriques? Je pourrais de même faire éclater une boîte de poudre placée dans la maison en face, de l’autre côté de la rue, si je pouvais y mettre deux fils ou deux plaques à travers lesquelles se produirait l’étincelle qui causerait l’explosion. Il suffirait donc qu’il y eût, dans la Sainte-Barbe d’un cuirassé, deux plaques de métal ou deux clous et la Sainte-Barbe sauterait.
– Alors, les phares, dont nous parlions tout à l’heure, pourraient faire éclater la soute aux poudres des navires d’aussi loin que leur lumière peut en ce moment être aperçue ?
– Cela est certainement possible. Cela dépendrait de la puissance de l’énergie excitante.
– Dans ce cas, la difficulté d’employer votre appareil pour la marine…
– Cette difficulté, c’est la crainte que les ondulations ne fassent faire explosion au magasin du navire lui-même.

 

La conversation de M. J. Dam avec le jeune savant prend fin sur ces mots. Mais nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer quelles stupéfiantes conséquences on peut tirer de pareilles prémisses. Ce n’est plus seulement d’une révolution dans la télégraphie, qu’il s’agit. C’est d’une révolution dans la guerre navale, révolution qui pourrait bien aboutira une complète suppression. Déjà, les ingénieurs de la marine royale anglaise ont commencé à examiner l’invention de M. Marconi et à l’envisager dans ses conséquences. De toutes les défenses côtières auxquelles on a pu songer, aucune ne serait si abominablement efficace que cette explosion des navires de guerre au moyen des ondulations électriques. Certes, la chose paraît tenir du miracle; mais, avec la science en général et celle de l’électricité en particulier, les miracles deviennent chaque jour la chose plus banale et la plus commune qui se puisse voir.

Signé D. L. CAZE.
Source: Gallica.fr (La Revue des revues, janvier 1897)

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